Ethiquette: quand des esclaves achètent ce que d’autres esclaves fabriquent #HMBalmaination
Je sais que je réagis sur le tard (mettons ça sur le compte du décalage horaire des vacances) mais la réflexion qui suit sera j'espère valable un peu plus longtemps que dans l’espace-temps du web où l'évènement semble déjà être arrivé il y a mille ans.
Alors voilà, je rentre de vacances, donc, la tête enfarinée, sentant encore presque l’odeur du sable chaud et de la street food asiatique bien que me trouvant sur le Bd Haussmann, quand une idée me vient « Tiens, si j’allais voir chez H&M ».
Et soudain, comme dans un film ou l’on passe la bande à l’envers en accéléré, ça me revient : cette foule, ces vigiles amassés devant le magasin, c’est pour la collection Balmain, mais oui mais c’est bien sûr !
Aucune envie de faire la queue et encore moins de me retrouver dans un magasin saturé de minettes : je passe mon chemin. Et là, à la sortie, devant le Printemps, je les vois.
Les fières et fiers acheteurs, les soi-disant chanceux qui ont réussi à acheter des «pièces» : ils ont les bras chargés de sacs griffés, et comparent leurs prises dans la rue. Trop classe, déjà. A l’image de leur profil : il faut dire qu’il ne sont pas l’emblème du chic.
Et soudain, bim ! Ca me frappe : mon dieu, les pauvres. Je les plains.
Et ils en ont tellement plein les bras que l’évidence me saisit : bien sûr qu’ils vont tenter de les revendre, ça saute aux yeux. L’équation profil de jeune pas très friqué + temps à perdre en pleine semaine + investissement en sacs pleins = tentative de profit pour survivre. Esclaves modernes. Putain.
Bien sûr, il y en a surement dans le tas pour avoir mesuré leur coup, des filles comme vous et moi, choisissant (ont-ils pu choisir, vraiment ?) quelques pièces qui leur plaisent, histoire de kiffer porter du créateur à une prochaine soirée. Ou d’autres simplement hystérique fashionistas qui vont venir engraisser leurs armoires déjà surchargées de nouvelles pièces "créateur".
Malheureusement, même avec ce scénario plus tendre, le bat blesse : même joli, tout sophistiqués que soient les modèles, ce n’est PAS du créateur, mais du H&M designé et griffé d'une collaboration, nuance.
Et le « succès » aura été tel qu’il en est devenu vulgaire. Si loin du luxe. Si loin de la belle maison Balmain. Je n’y connais pas grand-chose en mode, vraiment, ce n’est pas mon monde, ni un sujet d’intérêt, mais il y a bien un nom qui m’a fait tilt et dont je dévore chaque ligne que je lis sur lui (pour son histoire, son jeune âge, sa gueule, sa vision) c’est bien Olivier Rousteing, DA de la fameuse maison de couture au compte Instagram aussi couru que ses défilés. Je suis triste pour lui car les critiques ont rapidement décortiqué ce que j’ai vu en quelques secondes sur le Bd Hausmann, relayé par des vidéos affligeantes, compil' ci dessous.
Cette déchéance, cette triste euphorie consumériste, et cette vulgarité...
Les médias ont suffisamment lynché l’évènement, je ne vais pas tartiner la dessus. l’Obs l’a très bien fait dans cet article qui y décrit un luxe vidé de son sens Je suis entièrement d’accord mais je vois même autre chose, et c’est ça que je veux dire ici. Il n’y a bien que le ELLE.fr pour faire un article vaguement marrant (qui aurait pu l'être bien plus d'ailleurs) qui montre sans doute la pièce la plus désirable de la collection et la plus réussie.
Car oui, bien sûr, certains modèles m’ont un peu fait de l’œil et je n’aurais pas craché sur la robe verte pailletée au décolleté ravageur, MAIS.
Mais là j’ai eu une vision de jeunes gens à qui la société semblait avoir intimé l’ordre de se ruer là, d’acheter compulsivement et de s’en féliciter.
J’ai vu les esclaves d’un système ne le remettant jamais en cause.
J’ai vu des esclaves d’une société qui offre à ceux qui n’ont pas de sous le moyen de s’en faire sur le dos d’autres, qui en ont encore moins, ou qui au contraire sont prêts à payer une robe sur internet plus cher que son prix en magasin, sorte de façon de rémunérer celui ou celle qui aura fait la queue à sa place. Sans condescendance aucune, je pense aussi aux gens en province que ces paillettes ont fait rêver mais qui, n’ayant pas de magasin près de chez eux, se feront les pigeons des premiers, le site internet ayant été saturé…
Quand on sait que du vrai Balmain d'occasion vaut parfois moins cher que le Balmain x H&M neuf...
Et, telle, une mise en abime mercantile et sociétale à la fois, on aperçoit dans l’ombre de ses consommateurs l’ombre des petites mains qui ont fabriqué ces pièces. Ce n’est pas un secret : aucun savoir-faire « couture » n’est à attendre de ces habits. A part le dessin, fidèle au style Balmain, les matières sont communes, les broderies ne sont certainement pas l’œuvre de couturières d’un atelier français… Non, du made in pas cher, fabriqué par des esclaves modernes, pour d’autres esclaves modernes.
De l’Inde à l’Ethiopie, on achète et sciemment aujourd’hui, des habits fabriqués par des hommes, femmes et enfants exploités, pour un salaire de misère, travaillant dans des conditions inhumaines et dangereuses (cf l’effondrement du tristement célèbre Rana Plaza et d’autres voir cet article avec une liste des marques incriminées ). Qui va nous faire croire « ne pas savoir ». Peut être qu’une certaine frange des clients pensent naïvement que les économies d’échelle justifient les prix bas, de H&M à Primark (pourtant déjà montré du doigt par des appels à l’aide lancés sur les étiquettes de vêtements en 2014, avec de nouveaux cas ces dernières semaines posant l’éthique au cœur du débat, un « débat » auquel H&M n’échappe pas comme on le lit ICI .)
Mais nous, nous qui savons (et ne nous moquons pas : nous sommes de plus en plus nombreux à savoir, et toi qui lis ce post, pouf ! ca y est, tu ne peux plus dire « Ah ouai, je ne savais pas, zut alors »), avons donc une responsabilité là-dedans : pas de demande, pas d’offre. En achetant sans regarder, sans compter, sans penser, nous devenons les esclavagistes de ceux qui fabriquent pour nous pendant 15h/jour.
Perso, je me sens tout de suite moins bien dans mon pull à 9,99€ quand je pense comme ça, pas vous ?
[Question : à quel point est-ce pareil en beauté ? Je pense que c’est moins pire)
Je ne dis pas qu’il faut boycotter H&M, j’en serais bien incapable moi-même à 100%. Mais se limiter à des achats ponctuels, éviter de saturer nos armoires, faire aussi vivre les petits créateurs (pas toujours si chers que l’on croit), faire vivre les vides dressings et les depots vente dans lesquels on fait de bonnes affaires, penser à la mode éthique, pourquoi pas. Chacun à son niveau d’engagement, arrêter aussi éventuellement d’acheter des pièces hors de prix qui ne les valent pas (genre les manteaux des marques modernes aux matières dégueu mais qui coutent un demi SMIC). Bref, juste prendre conscience. Viser l’élégance. La simplicité. Et arrêter de croire que tout ça est une fête, du fun ou encore « le monde de la mode ». Non. C’est plutôt la mort de la mode en ce moment (lire cet article). Acheter dans la joie, et se libérer des injonctions que la société nous envoie. Consommer, oui, mais libre. Rompre ses chaines de nylon.
Parce qu’une fille dans mon genre ou dans le vôtre, mal fagotée dans une robe de gala trop étroite (elles le sont toujours) aux strass qui sautent au moindre mouvement, lors d’un mariage en banlieue, ne sera jamais Madonna. Ni Kendall Jenner. CQFD. Surtout si on est deux à avoir la même robe dont tout le monde connait la provenance et le prix, et qui, donc, ne fait même pas son job : illusion.
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Je vous laisse avec cette vidéo qui n'a rien à voir avec H&M ni Balmain mais qui est extrêmement puissante sur le sujet...
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