Voyage de presse : le pire peut arriver, la preuve
"Tu vas tester un SPA?" "Tu pars en WE à la découverte de la Truffe?" Oh, vous les journalistes, vous avez trop de chance !!!" Les voyages de presse font rêver pas mal de gens, c’est vrai. Et à raison. Etre journaliste tourisme par exemple et se faire emmener entre 5 et 10 jours à l’autre bout du monde tous frais payés, tout organisé, quasi tous les mois, c’est un vrai "avantage en nature". Et c'est également et surtout indispensable au boulot de journaliste et d’enquête. Mais comme j’en ai déjà parlé, il y a aussi les voyages de presse que j'appelle de "complaisance" : on vous emmène quelque part pour pouvoir disposer de tout votre « temps de pensée disponible » afin de vous familiariser à la marque. Je dis de complaisance car, soyons honnête, quand on est journaliste beauté, on n'a pas besoin d'être à Ibiza pour découvrir une ligne de shampoings! C'est donc dans ce cas un sacré avantage, 100% plaisir (même si l'omerta sur le sujet empêche les journalistes de le reconnaitre), de ceux qui font partie de la tradition des relations entre marques et journalistes. Un temps privilégié des deux côtés, donc, pour nouer des liens menant un jour ou l'autre à une collaboration, à une parution… La plupart du temps c'est donc une grande chance.
Mais… il y a un mais, voire plusieurs, que peu de gens connaissent ou veulent bien reconnaître.
On part de chez soi, on laisse ses enfants, à des dates parfois pas évidentes rapport à notre vie perso, avec non pas des copines mais des collègues, et surtout, quand c’est mal organisé, cela peut virer à une sensation de prise d’otage ou l'on voudrait bien être partout sauf là, avec n'importe qui sauf avec ces gens là, à faire n'importe quoi sauf ces activités imposées là…
Voici la tragique histoire du pire voyage de presse de tous les temps.
[Edit: "pire" non pas pour nous journalistes malgré l'ambiance exécrable et le peu d'infos à en retirer, mais le pire en terme de stratégie, en terme de retour sur investissement pour l'organisateur et en terme de réputation pour le service presse. Je précise cela pour ceux qui ne savent pas que ce blog a une visée pédagogique et est dédié à des petites analyses du monde de la presse beauté-bien-être, et non à une critique aveugle ]
Ne cherchez pas, comme toujours je ne vous dirais pas de quelle entreprise il s'agit car ce qui compte c'est de pouvoir apprendre quelque chose, que les attachées de presse qui me liront puissent en tirer des idées et éviter de refaire les erreurs des autres…
The story! Une entreprise qui vend des voyages bien être et regroupe l’offre de différents acteurs du tourisme "bien-être" sur son site, nous invite, moi et une 20aine de journalistes à tester un destination: Malte, pendant 5 jours. Jusque-là, c’est même plutôt réjouissant.
A l’arrivée à Roissy ou chacun se rend par ses propres moyens, on peut voir l’attachée de presse affairée à coller sur des petites boites en plastique des autocollants au nom de l’entreprise qui invite. Elle me remet alors ce qui est un kit d’encens, désormais estampillé du nom de la boîte. Et aussi un dossier de presse. Entre valise et sacs, les bras un poil chargés, je m’étonne qu’elle nous donne tout ça ici et maintenant (on se serait plutôt attendu à trouver les petits kits dans nos chambres ou a les recevoir sur place), mais elle me répond un lacunaire « Ben je vais pas me les trimballer tout du long jusqu’ à ce qu’on arrive. C’est hyper lourd. ». Certes. (vous diriez ça, vous?
Premier lever de sourcil. En effet, normalement, le job principal de l'attachée de presse est de faire en sorte que tout glisse et soit agréable pour les journalistes (c'est pour ça que je dis toujours qu'on a de la chance et que c'est un travail souvent ingrat pour elles), et qu’aucun souci logistique ou organisationnel ne se fasse sentir. Et là non seulement elle souligne cette faiblesse d'organisation (elle aurait pu enregistrer sa valise avec tout dedans), mais elle dit qu'en gros ça la fait chier et s’en plaint. L'impression aurait été toute autre si au lieu de se "débarrasser" ostensiblement des ces objets en nous les balançant, elle nous avait dit " Tenez, un petit cadeau de bienvenue ».
Rien de grave au demeurant mais l'attitude est quand même bizarre.
Deuxième lever de sourcil dans l'avion qui est un Easy Jet, le pire low coast du monde. N'allez pas croire que l'on fasse nos divas, le problème n'est pas d'être en low cost, le problème c'est que ces enfoirés d'Easy Jet (je les déteste cordialement), ne distribuent pas d'eau du tout: on est toutes super assoiffées. Souvent, l’attachée de presse rodée à l’exercice, sortirait 20 euros de sa poche et prendrait des bouteilles d’eau pour tout le monde, histoire de rendre le voyage plus soft. Là non, et on est toute à chercher de la monnaie, à se pour se payer des bouteilles de 25ml au prix du caviar.
Le problème n'est bien sûr ni une question de sous, ni d'acheter soi même une bouteille (on n'est pas des assistées), mais d'attitude. Car encore une fois, quand on est invité à un voyage de presse, on ne sait pas à quoi s'attendre, ni prévoir ces détails, tandis que l'attachée de presse, elle, si (puisque c'est elle qui a géré). On ne savait donc pas qu'on allait avoir besoin de monnaie tout simplement puisqu'on ne savait pas qu'on allait voler avec Easy Jet.
Bref, encore une fois, pas grave, je me dis que je fais sans doute ma connasse.
On apprendra par la suite que c’était le premier voyage de presse de l’attachée de presse dont certaines journalistes ne découvriront qui elle était qu’au bout de 3 jours (!!!) pensant que c'était une journaliste tant elle s’est mêlée à nous sans rien faire de spécial et surtout sans s'être présentée!!!!
Elle devait à priori être seule, mais tannée par son client, la boss de l’agence -bien que malade-, était venue aussi. Mais très vite de déclarer : "Je ne suis pas censé être là, donc faites comme si je n’étais pas là, je suis invisible." Un postulat plus qu'étrange de la part d'une directrice d'agence de presse, qui n'était donc elle non plus vraisemblablement pas là pour répondre à nos questions pour monter nos sujets.
Ce qui réduisait l’encadrement et l’organisation au nombre de 1+1= 0.
Heureusement, une fois sur place, des gens dépêchés pour les visites etc, ont pris le relais… MAIS elles auraient quand même pu nous parler de leur client. A la base, le but d'un voyage de presse est quand même de découvrir l'offre d'une entreprise pour en parler ensuite. Or ils avaient choisi de ne pas faire de conférence pendant le voyage pour que l'on "profite à fond", et on s’est toutes retrouvées à essayer d’avoir des infos pour savoir comment on allait bien pouvoir parler de cette boîte et de ses services car…
En arrivant à l’hôtel, on s’aperçoit qu’il est presque vide : c’est la toute toute fin de la saison, certaines parties sont donc fermées, dont: les activités, les boutiques et une partie des services du spa pour lequel nous sommes là. Comment alors tester, découvrir, rencontrer des gens à interviewer ou encore prendre des photos alors que le lieu est fantomatique. ballot pour présenter un lieu sous son meilleur jour...
A partir de là, tout va être comme ça.
Les excursions organisées sont tellement peu encadrées que personne ne sait à quelle heure est le rdv. Le soir la boss de l’agence, bien décidée à en profiter, elle, proposait à certaines journalistes un apéro dans sa chambre… mais à certaines journalistes seulement. (#paspro )Ca ne se fait pas n'est-ce pas? Les autres l'apprendront le lendemain avec un sentiment d'exclusion créant des remous dans le groupe…
Pourtant, photos à l’appui, il y a eu de bons moments. Mais l’ensemble était tellement axé sur le côté "Profitez, on ne veut pas vous embêter avec des infos, tout est dans le dossier de presse" et "Faites comme si on n'était pas là" alors que tout le monde cherchait de l'info, que nous n’avions rien à nous mettre sous la dent côté enquête, et que certaines avaient déjà vendus le sujet de cet hôtel spécifiquement à leurs rédactions et commençaient à sentir qu'il n'y allait rien avoir à écrire!
Quant à "profiter", c'était dur vu que tout était désert, qu'il ne faisait pas ni très beau ni très chaud puisque c'était la fin de la saison (nous n'avons pas vue la plage par exemple) et qu'on ne pouvait profiter d'aucune activité. Pire, nous nous retrouvions en mode "bande de copines" sauf que justement, nous ne sommes pas copines mais collègues, qu'on ne s'est pas choisies et que cette ambiance à crée des sous groupes et des oppositions ! A un moment, on a attendu pendant près d’une heure dans le bus, deux journalistes qui avaient "pris leur temps" faute d'instructions précises, se faisant vertement engueuler par la fameuse boss (tiens, finalement pas si transparente), devenant alors les boucs émissaires du séjour! C'était terrible…on se serait crues au collège, personne ne savait où se mettre ni quelle attitude adopter, ni s'il fallait encore insister pour avoir des réponses ("Tout est dans le dossier de presse" nous répétait-on: mais alors que faisions nous là???)
Le SPA était aussi désolé et déserté que le reste de l'hôtel et je me souviens de ces immenses couloirs et salles un peu glauques malgré des soins sympas… Ca a quand même eu le mérite de créer des affinités avec certaines journalistes effarées avec qui on a passé les 3 jours suivants à se regarder en coin, entre fou rire et hallucination.
Le second soir, il y a eu cette discussion animée avec la (fameuse) boss de l’agence avec qui on parlait de voyage de presse. En faisant remarquer que la plupart du temps le taxi est pré-payé (notamment pour être sûr que les journalistes se pointent bien à l’heure si on vient les chercher) elle répliqua « Attend, t’as vu ce que ça lui coûte déjà au client ? Il est déjà bien gentil de vous inviter… » Heu??? Sympa la culpabilisation! Là, regards consternés, gênés…certaines s’accrochent à leur chaise pour ne pas en tomber…
A ce stade, je peux vous dire que personne n'avait plus envie d'être là!
[Edit: C'est le fameux moment où tu te fous que tout soit payé, ou tu réalises bien la différence entre voyage plaisir et voyage boulot et où tu préférerais mille fois payer ton billet et être dans un endroit sympa avec des gens choisis que là... même gratos! C'est pas parce que c'est gratuit que c'est bien, et ça tu le découvres avec l'expérience de ces moments là ] Certaine se sentaient carrément "prisonnières" et le vivant vraiment mal côté ambiance…
Bouquet final au retour: alors qu’une journaliste découvre un problème avec sa fille restée à paris et est sur-angoissée car elle aimerait rentrer au plus vite, on s’aperçoit avec horreur dans l’avion du retour que nous arrivons à … Orly alors que nous sommes parties de Roissy! En effet, c'était le tout tout dernier retour de la saison: après cette date, l’ile n’est pus desservie pendant 5 mois! L'exaspération est à son comble! Certaines ayant laissé leurs voitures à Roissy sont alors sur-saoulées, dont (pas de bol) celle qui doit foncer chez elle à cause de sa fille…
Et là, le client, fondateur du concept, celui qui nous "invite" et aurait pu répondre à nos questions mais qu'on n'a pas vu du séjour, et qui rigole -ce qu'elle prend très mal la situation étant sérieuse- dit « Il vous suffit de prendre le RER machin et de changer à …" au lieu de la coller dans un taxi, éventuellement en le payant pour s'excuser de cette bourde. Révolte sourde dans le groupe: dans un élan de solidarité, chacune sort quelques euros et les lui tend … sans jamais que l'attachée de presse ou le client ne réagisse.
C'est à ce moment que s’est propagé un murmure qui disait "Tu vas faire un papier toi ?" "Non, certainement pas, et toi ?" "Non, non plus, impossible" "Et toi ?" "Ah non, moi j’écris rien" "De toute façon je n'ai eu aucune info, je ne peux rien écrire » etc…
[Edit: Une journaliste ayant participé à ce voyage m'a rappelé aujourd'hui un dernier détail édifiant en mode "il a rien compris aux RP": le fameux client distribuant ses cartes à l'aéroport en disant "Hey, celles qui font un papier, la prochaine fois on part aux Maldives". la classe quoi! Ethique, fin, de bon goût... ]
Pourquoi ça a merdé?
1° Le timing présentant le lieu au pire moment, rendant impossible un vrai test des activités et des services
2° Le cruel manque d'infos et d'interlocuteurs pour nous renseigner, l'absence de conf de presse
3° Le côté cheap global souligné de réflexions culpabilisantes déplacées
4° Les personnalités du "client" et de la boss de l'agence, inélégants et désengagés
Je crois que sur 20 journalistes, ils n'ont eu que 3 parutions, et que ni le client ni la boss de l'agence de presse n'on jamais compris.
Et vous, vous comprenez? Qu'en pensez-vous? Quel doit être le rôle de l'attachée de presse pendant un VP? Vendre son client? Mettre l'ambiance? Veiller au confort des journalistes?
A vos commentaires!!