Les articles beauté peuvent-ils (encore) être considérés comme des articles de presse, leurs auteurs comme des journalistes et surtout, peuvent- ils transformer les femmes en putes ?
Quand je dis que je suis journaliste, une vague d’intérêt ourlée de respect étreint
généralement mon interlocuteur. Et puis (j’adore cette situation qui se répète sans cesse) je lance « beauté, je suis journaliste beauté » et là l’expression se mue au mieux en une curiosité amusée teintée d’incrédulité, en une franche interrogation mentale (« Mais ça veut dire
quoi journaliste beauté ??? ») ou, au pire, en une sorte de déception mal camouflée genre « Ah ouai, tu vas pas en Lybie au péril de ta vie, quoi… Et t’as jamais interviewé Sarko
non plus. T’es pas une vraie journaliste en fait». Je kiffe.
Et c’est vrai qu’après avoir adhéré au groupe « les journalistes beauté ne sont pas des dindes » sur Facebook, ma conscience de ce phénomène s’est amplifié.
Les gens ne savent pas vraiment ce qu’est ce métier. Souvent ils le confondent avec attaché de presse (et vice versa : le nombre de copines attachées de presse à qui leur mère demande où elles peuvent lire leurs articles -soupirs-), mais surtout, ils ne voient pas comment ça marche, ce que ça implique.
C’est vrai que la beauté est un domaine superficiel A PRIORI et que moi-même je fais de l’auto dérision réductrice en résumant : « Oui, c’est ça, j’écris sur les rouges à lèvres et les shampoings ». (note pour plus tard : arrêter de faire ça)
Mais en réalité, je pense que la beauté va bien, bieeeeen plus loin que sa couche de vernis (OPI de préférence) qui se craquelle vite fait quand on descend dans ses sphères associées du côté psycho. Moi je crois en effet dur comme fer qu’en plus d’apporter joie et futilité via quelques grammes de poudre matifiante dans ce monde d’imperfections (cutanées), traiter de la beauté peut vraiment revêtir non seulement un caractère informatif digne des dossiers des grands magazines dits « sérieux », mais aussi concerner des problèmes existentiels bien plus profonds.
Voilà par exemple la motivation de ma dernière expo photo sur la peau. Parce que la peau revêt tant et tant d’aspects que je ne peux jamais traiter dans mes papiers, j’ai voulu à l’époque m’exprimer sur le sujet d’une autre manière. Parce que ce que j’aime c’est attirer l’attention des lecteurs sur un aspect de la beauté auquel ils n’auraient pas prêté attention autrement. Alors pour moi, un « bon » article beauté, c’est celui qui apporte soit une question, soit une réponse, soit des idées.
Je n’ai rien contre les shoppings, comprendre les pages thématiques où l’on présente des nouveaux produis avec leur photo et une légende, mais je trouve que la beauté mériterait plus de pages profondes, souvent reléguée dans les mags santé considérés plus sérieux, où l’on aborde disons, la psychologie de la beauté. Un thème proposé à plusieurs mag féminins, qui n’ont pas été intéressés. Pourtant il y a tant à dire. Le rapport que nous avons à la beauté est tellement indissociable de notre rapport à l’image, à l’image de soi et aux regards des autres, CAD la séduction, entre autre, mais aussi la considération et l’estime de soi. De gros morceaux s’il en est…
La seule qui ait eu l’ouverture d’esprit de me laisser bosser sur ce thème fut Sophie, ici où je traite de la « psychologie du rouge à lèvres ». Bon, bien sûr du coup c’est assez poussé, mais peut être plus profondément intéressant qu’un énième « Comment me maquiller pour les fêtes » ;
Encore que. Car dans mes articles libres, sur ce blog, (où je pourrais donc ne parler que de « beauté profonde » et autres thèmes relatifs), je fais aussi du « Comment gérer la paillette sans passer pour un sapin de Noël ». Car je pense que ça aussi ça peut être un « bon article beauté ». Parce qu’il réponds à un problème, disons souci pour garder quelques proportions. Alors si la nana qui s’acharne sur ses paillettes et s’en met partout peut trouver un coup de pouce (de pinceau) dans un de mes papiers et sécher ses larmes parce que l’opération l’a poussée à bout (et que le pot de paillettes vient de s’étaler sur le sol et que son chat à mis ses pattes dedans et entreprend en galopant au loin de convertir tout l’appart à la magie de Nowel ), et bien s’est un bon article beauté.
Et la question n’est pas (enfin, celle que je pose) de savoir si les femmes sont devenues co-connes à force de lire les magazines féminins qui leur font feraient croire que la vie est à 50% une question de chaussures, à 20% une question de gloss, à 20% une question de mec, 10% de taf et 10% de famille (ah, merde, le compte n’est pas bon. Rhooo, mais je suis journaliste beauté moi, je peux pas savoir ce qu’est une eau micellaire ET savoir compter…)
La question est de savoir si un article répond à une attente, quelle qu’elle soit : info, réconfort par identification, divertissement… Et c’est justement ce que viennent chercher les lectrices des mags féminins si souvent décriés par les intellos/les mecs/les filles genre trop libres et wild quoi… C’est d’ailleurs aussi pour ça que les blogs beauté ont fait un carton en quelques années : on fait plus confiance à une bloggueuse qui nous donne ses astuces et teste sans langue de bois qu’à une journaliste qui fait un joli papier glacé bien présenté mais sans amour dedans et sans conseil live. (notez que la courbe de sincérité des bloggueuses a souvent évolué proportionnellement inversement au nombre de produits et invitations qu’elles ont commencé à recevoir…mais bref)
Il est donc bien difficile de juger et de trancher sur ce qu’est un bon article beauté, mais moi je crois savoir ce qui est un mauvais article beauté. J’en avais déjà parlé ICI… Ben oui, un article téléguidé par un grand groupe de cosmétiques dans un souci 100% fric, dicté mot pour mot à la journaliste beauté et placé dans le magazine selon un plan marketing parfois mondial…. ne peut pas être un bon article beauté. Et ce sont ces articles-là qui, je pense, font dire à certains ce que vous pourrez lire ICI, dans les commentaires des internautes. Pas dans l’article en lui-même, pas mal bien que discutable sur certains points (notamment dans le fait de généraliser, le grand écueil de ceux qui parlent d’un secteur qu’ils ne connaissent que de l’extérieur...)
Car à force de penser que TOUTES les journalistes beauté sont sujettes à cette manipulation (oui, manipulation, faut pas croire qu’elles sont libres et heureuses de le faire), un certain public, loin de notre domaine d’activité et sous-informé, cela va de soi, pense que, par conséquent, à force d’écrire ces articles-communiqués de presse « pour » les marques, les journalistes « transforment les femmes en putes », « ne font pas de piges mais des passes » et sont « SUPERRR utiles à la société ». Ce que vous pouvez, donc, lire dans les commentaires édifiants des lecteurs de Rue89 dans l’article linké ci-dessus. Des lecteurs qui insultent également les lectrices et lecteurs « vu le nombre de pigeons qu'ils ont en face pour les lire », « la petite conne elle aura toujours 10 euros pour s'acheter un truc "trop facheuuuune" » etc… des commentateurs qui, bien entendu dans leurs vies professionnelles (enfin s’ils en ont une), ne se sont certainement JAMAIS compromis, et n’ont jamais fait de la merde, par eux même ou pour le compte de la hiérarchie…
Et l’éternelle question de savoir si les gens qui font de la télé réalité prennent le public pour des cons, ou si ils proposent ces émissions car il savent que le public est (déjà) suffisamment con pour les apprécier… Et avec, la question de savoir si faire pour le compte de son travail des choses qui ne correspondent pas à ses valeurs personnelles fait des travailleurs eux-même de gros enfoirés. Car le journaliste, politique, beauté ou automobile, même s’il essaie de choisir une rédaction dont l’orientation éditoriale est proche de la sienne, n’a pas toujours la possibilité d’exprimer ce qu’il pense et doit même parfois traiter de sujets qu’il n’a pas choisi, hé oui. Je propose donc à nos amis lecteurs de Rue89 (pas tous, m’enfin ils se reconnaîtront), de commencer par s’attaquer peut être à des gens qui « transforment » VRAIMENT les gens en quelque chose. Genre les employés des usines d’agro-alimentaires qui -selon le même principe- transformeraient donc les femmes mais aussi les hommes et les enfants en obèses et en sacs à merde en fabriquant de sous produits alimentaires à manger ; puis peut être aller voir du côté des mecs qui bossent dans le pétrole ou dans l’industrie du tabac, ainsi qu’à la télévision, of course… et puis, et puis… mmm disons qu’il y en a trop…
En conclusion, même si moi je le sais et dans le milieu nous le savons toutes, « Les journalistes beauté ne sont pas des dindes ! ». Merde. (Mais parfois on les y oblige. Re-merde.). Mais il y a en revanche de vraies personnes qui transforment les femmes en putes. Dans la vraie vie. Ca s’appelle des macs. Des sujets souvent traités dans les magasines féminins type Marie Claire ou Grazia by the way…
J’emprunterais enfin deux commentaires pour refermer cet article : « C’est le côté Christine Boutin de rue 89 qui m'fait marrer moi... ». Car en effet « Il se passe des choses dans le monde en ce moment et rue 89 nous submerge d'articles inutiles »…
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