Confusion des genres: attaché de presse et journaliste, dérangeant mais pourquoi ?
Voici un billet
qui mûrit dans ma tête depuis des mois tant les réflexions qu’il soulève sont nombreuses, mais je sens qu’il faut le publier maintenant, même si la réflexion continue. En effet, je ressens un
vrai tournant concernant un certain mélange des genres autour de mon métier, que l’on ne voyait pas il n’y a encore qu’un an et demi, et qui ces derniers mois, est allé encore plus loin. Trop
loin ?
Je veux parler de la confusion de genres dans le milieu de la presse beauté.
A l’origine, il y a les journalistes beauté qui travaillent pour des magazines ou des sites et dont le métier est de défricher et de décortiquer l’info avant de la diffuser. De l’autre côté, il y a des attachés de presse dont le métier est d’assurer le lien entre les marques qu’ils représentent et les journalistes, pour aider les seconds à parler au mieux des premiers. Bon.
A la base, voilà un peu le tableau :
Les attachés de presse qu’ils soient en interne (une seule marque) ou en agence (plusieurs marques), réfléchissent avec leur client à une stratégie de RP -où veut-on être visible, qui veut-on toucher ?- un peu comme en pub, ainsi qu’aux moyens de communiquer avec les journalistes pour mettre toutes les chances de leur côté pour que leur marque et leurs produits apparaissent dans leurs articles. Ensuite ils mettent en œuvre la stratégie (organisation d’évènements, rédaction de documents, gestion des demandes des journalistes, envoi de cadeaux, de produits, d’infos) pour y arriver.
Les journalistes reçoivent les communiqués de presse, les produits pour les tester, assistent aux présentations presse où elles rencontrent les responsables de la marque et des spécialistes pour s’informer… afin d’écrire des articles documentés.
Mais après la vague-raz-de-marée des blogs beauté, certains journalistes ont eux-même ouvert leurs blogs, moi la première, pour parler de leur sujet d’une manière différente ou de tout autre chose. Et dans leur sillage… certains attachés de presse leur ont emboîté le pas, ouvrant également leur blog, souvent sur leur sujet de référence, ici, la beauté. Si les journalistes-blogueurs n’ont pas suscité de réactions particulières, à la croisée des chemins, l’attaché de presse-blogueur a, de son côté, soulevé pas mal de questions et déclenché des levées de sourcils : quid de l’intégrité des avis donnés sur le blog ? Quand une attachée de presse dit que tel produit est juste canon alors qu’elle le représente, on ne peut pas ne pas se demander si elle en aurait parlé si cette marque n’était pas son client. De mon côté, face à ce phénomène, pas de jugements hâtifs fidèle à mon « chacun fait ce qu’il veut chez lui » (chez lui = sur son blog). Vu que les blogs sont utilisés dans tous les sens et de plus en plus comme des moyens faciles pour acquérir de la visibilité à moindre coût… et que même les marques ont des blogs… des attachés de presse-blogueurs peuvent bien mettre en avant les produits qu’ils représentent, not a big deal pour moi, après tout.
Mais alors que les blogueurs et blogueuses se sont parfois mis à vouloir devenir journalistes suscitant un agacement notoire dans le milieu de la presse (journaliste c’est un métier, bordel, il suffit pas de faire les éloges des produits qu’on reçois en cadeau), ce sont certains attachés de presse qui se sont mis à accepter des piges. Damned ! Entre l’attaché de presse-blogueur et l’attaché de presse-pigiste, il n’y a qu’un pas que certains ont franchis. Pas en tant que journaliste intégré, va sans dire, puisque l’attaché de presse a déjà un travail, mais en tant que pigiste. Et là, vous l’entendez le « GLOUPS » des pigistes qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts, et qui voient des piges confiées à quelqu’un qui a déjà un salaire… aussi révoltant pour ceux que ça révolte qu’un ancien pigiste qui se fait embaucher comme journaliste à plein temps… mais qui garde ses piges, empêchant la redistribution des maigres ressources de piges actuellement disponibles. Perso, pour être honnête, je crois que si j’étais intégrée mais que j’avais des piges pour un canard réputé, je les garderais moi aussi…alors je suis plutôt du côté de ceux qui comprennent.
Côté attachés de presse, les incriminés répondront sans doute qu’il arrive aussi que l’écriture de dossiers de presse soit commandée à des journalistes free lance, alors qu’il y a aussi des attachés de presse indépendants, et qu’à ce compte là, les journalistes piquent aussi du travail aux journalistes.
Certes. Mais à mon sens, dans ce cas, on va chercher une compétence, celle de l’écriture que (reconnaissons-le) tous les attachés de presse n’ont pas, même si certains écrivent mieux que les journalistes eux-mêmes. On va chercher un savoir-faire, celui de rédacteur, un métier à part entière -la preuve, c’est même un titre officiel-. Car comme attaché de presse, c’est un métier, cela s’apprend, et ne s’invente pas. Mais ceci est sans compter le second truc que l’on pourrait opposer à cette pratique : le fait qu’une boîte qui confie la rédaction d’un DP beauté à une journaliste beauté s’attend à ce que la journaliste, sensibilisée au produit d ont elle a elle-même vanté les mérites dans le DP envoyé à ses collègues, -vous suivez ?- le place dans ses shoppings, voir peut exercer une pression pour qu’elle le fasse (« On avait un autre boulot de rédaction mais on s’étonne que tu n’aies pas parlé du précédent dans ton article… »)
Bref, qu’on me réponde ce que l’on veut, ya pas à chipoter, une attachée de presse-journaliste-blogueuse et qui assume sa triple dimension, ça dérange. C’est en tous cas l’avis de 100% des journalistes avec qui j’ai discuté.
Et en cette rentrée, le sujet passionne les foules (foules…de journalistes, de blogueuses mais aussi d’attachées de presse qui ne sont pas si nombreuses, dieu soit loué, à avoir le temps ni l’envie, d’écrire en plus de leur job à plein temps). Et l’avis se confirme. Pas seulement parce que ça fait grincer des dents pour des raisons d’égo ou de jalousie ou de piquage de piges potentielles (2ème devise en ce qui me concerne : c’est le jeu, ma pauvre Lucette), mais parce que là encore, et encore plus, la question de l’objectivité se pose…
Imaginez une attachée de presse appeler un service de presse (un concurrent, donc) pour lui demander des infos pour un papier. Déjà l’attachée de presse qui en appelle une autre pour son blog, ça gène, mais pour des piges ça cloche encore plus…
Plus tordu : imaginons la blogueuse/attachée de presse/pigiste demander une exclu pour son blog, (= le droit d’être la première a en parler). Elle obtient de ce
fait un avantage sur les pigistes en terme d’info, mais par le biais du blog, le tout pour un article… tout en obtenant une info sur un concurrent. Info que le dit concurrent n’aurait jamais
consenti à donner à l’attaché de presse s’il lui avait demandé sous cette casquette là. Car le problème c’est bien qu’à avoir plusieurs casquettes et à s’en servir, même à juste titre,
ça fait un peu cumul de mandat, et on appelle ça jouer sur tous les tableaux. Et ça énerve.
Ben oui, imaginez de nouveau notre attachée de presse 3D demander des infos en avant première à un autre attaché de presse, juste pour savoir ce que prépare la marque concurrente. De grandes chances qu’elle se fasse jeter, non ? D’où la gêne des attachées de presses à répondre à ces demandes.
Dans ce beau bordel, les questions fusent : une fois un article publié, si l’attaché de presse-pigiste a cité un de ses clients, le client va-t-il comptabiliser la paru dans ses retombées ? Si une blogueuse-attachée de presse a vivement critiqué un produit sur son blog, cela compromet sans doute à jamais la possibilité de l’avoir un jour comme client dans son agence? Par ailleurs, peut-on se servir de ses propres piges (ou de son blog, d’ailleurs) pour garantir des parutions à une marque et ainsi obtenir les faveurs d’un potentiel client? Des questions que les bisounours concernés ne se posent pas quand ils font la part des choses car cela leur semble naturel, mais que le « milieu », qui ne manque pas de les observer, a parfois en tête…
A ce propos, une copine attachée de presse tourisme à qui je parlais de blogs et d’attachées de presse qui acceptent des poiges, à ouvert de grand yeux, est restés quoi et à lâché comme un cri : « Il y a des gens qui font ça ? Aucune déontologie ces attachés de presse! ». Ah, déontologie, voilà le mot que je cherchais et celui qui rassemble toutes les problématiques liées à ces multi-casquettes…. Mais qui a les réponses ?